1) HISTORIQUE DU 3e COLONIAL 1914, 1915, 1916
2) COMPTE RENDU DE L'AJUDANT PAILLARES
1) HISTORIQUE DU 3e COLONIAL 1e GUERRE MONDIALE
ANNÉE 1914
LA MARCHE A L'ENNEMI ROSSIGNOL
2 août 1914 ! L'Allemagne nous a déclaré la guerre, l'heure de la revanche vient de sonner.
Le 3ème Régiment d'Infanterie Coloniale brûle d'aller se mesurer avec nos ennemis héréditaires. Au moment où tous les peuples parlaient de droit et d'arbitrage, où tous les efforts de l'esprit humain tendaient à écarter l'action de la force brutale dans le règlement des conflits internationaux, l'Allemagne, avec sa duplicité coutumière, provoque la guerre.
Le régiment, sous les ordres du colonel Lamolle, quitte Rochefort dans la nuit du 7 au 8 août. Il est à l'effectif de trois bataillons : 1er bataillon, commandant Sauvage ; 2ème bataillon, commandant Chibas-Lassalle ; 3ème bataillon, commandant Mast.
Il débarque, le 10, à Mussey, dans la Meuse, et, après des marches très dures, prend, le 20 août, les avant-postes (1er et 3ème bataillons) en avant de Chauvency-Saint-Hubert.
Le 21 août, la marche en avant se poursuit avec enthousiasme ; les 2ème et 3ème bataillons sont dirigés sur Limes (en Belgique), le 1er bataillon sur Fany, en deçà de la frontière.
Le 22, le régiment fait partie du gros de la colonne de la 3ème division et se porte de Limes sur Neufchâteau, par SaintVincent et Rossignol. Le régiment marche derrière l'artillerie divisionnaire. Au débouché de Saint-Vincent, une violente canonnade se fait entendre vers l'est ; à peine avait-il parcouru 500 mètres au delà du village, qu'il est pris à partie par l'artillerie allemande.
Au même moment, arrive l'ordre d'assurer la protection de l'artillerie en plaçant, pendant la marche, une compagnie d'infanterie entre chaque groupe, la 4ème assurant la liaison avec les unités d'infanterie. Le 1er bataillon est maintenu en réserve, à cheval sur la route. Ce mouvement s'exécute normalement, malgré le tir bien réglé de l'artillerie ennemie. A 10 h. 30, le général commandant la brigade envoie l'ordre suivant : "Suivez comme soutien l'artillerie divisionnaire qui marche sur Rossignol." Les trois, bataillons, qui faisaient face à l'est, reçoivent l'ordre de se porter au nord pour exécuter le mouvement prescrit. A 11 heures, le 2ème bataillon, à la sortie du bois au nord-est de Breuvannes, est accueilli par des feux d'infanterie, de mitrailleuses et d'artillerie qui l'obligent à se déplacer face au nord-ouest et au nord. Le 1er bataillon, arrivant à hauteur de la cote 325, nord-est de Breuvannes, est obligé de se terrer. Tout mouvement de sa part lui attirera une rafale de feux d'infanterie et d'artillerie. Le 3ème bataillon a réussi à franchir la rivière Semoy et restera engagé sur la rive droite de cette rivière avec la 1ère brigade.
Dès midi, les trois bataillons sont fixés, immobilisés et conservent leurs positions jusqu'au soir, recevant des coups de toutes parts. A 12h45, le général commandant la 3ème brigade envoie l'ordre de marcher sur Rossignol, qui sera fortifié. Cet ordre ne peut être exécuté. Les pertes sont énormes, mais nul ne songe à abandonner la lutte. Dès 14 heures, des coups de feu viennent de tous les côtés, sauf au Sud. Les 1er et 2ème bataillons sont presque cernés sur leurs positions. Le 3ème bataillon s'est avancé sur la rive droite de la Semoy. On ne peut recevoir ni renforts, ni ravitaillement. Aussi, à 19 heures, le colonel prescrit-il un mouvement de, retraite. Les débris des 1er et 2ème bataillons, avec le drapeau, sont ramenés sur la route Tuitigny-le-Fresnois et peuvent rejoindre, à 21 heures, les lignes de la 2ème division. La retraite se poursuit jusqu'à Orval, où l'on arrive le 23, à 4 heures. Les pertes de la journée étaient de 2.085 tués, blessés ou disparus. Les actes de courage furent nombreux au cours de ce combat. Citons, entre mille, le soldat mitrailleur Patel, qui, quoique blessé à la tête, continue à servir sa pièce et n'abandonne son poste qu'à la suite d'une seconde blessure très grave qui achevait de le mettre hors de combat ; le sergent Aubry, qui, malgré une blessure, a contribué, avec son lieutenant, à sauver le drapeau, qui est resté déployé pendant toute l'affaire; le lieutenant Vergniaud, qui a fait preuve de la plus grande énergie en groupant autour de lui des isolés, dont plusieurs blessés, avec lesquels il s'est dégagé de l'étreinte allemande ; le capitaine Bureau, qui, renversé et blessé par un obus, reprend le commandement de sa compagnie sous un feu meurtrier, jusqu'au moment où il tombe foudroyé à la tête par une balle ; le capitaine Delalbres, qui, quoique blessé, reste à la tête de sa compagnie ; enfin, le lieutenant-colonel Mortreuil, tombé glorieusement.
LA RETRAITE - LA BATAILLE DE LA MARNE
La rage au cœur, le 24, on se porte sur Olizy, où les restes du régiment sont groupés en deux bataillons, commandés, le 1er par le capitaine Caries, le 2ème par le capitaine Montaigu. Le 26, le régiment repasse la Meuse à Inar et Martincourt. Dans la matinée du 27, le régiment, avec le concours du 7ème colonial, contre-attaque les allemands, drapeau en tête, mais le mouvement de retraite continue à partir de 13 h. 30; le régiment va bivouaquer à Pont-Gaudron, sur la route de Beaumont. La contre-attaque exécutée dans la matinée nous a coûté 117 hommes tués, blessés ou disparus. Le 28, le régiment se porte sur Fontenoy; le général Leblois prend le commandement de la division. Le 29, la retraite continue vers Vouziers; l'on cantonne à Falaise et, le lendemain, à Longue. Le 31, l'on organise une position défensive à Bouet-aux-Bois. Le 1er septembre, la retraite continue et le régiment s'établit en avant-postes sur la ligne ferme Joyeux, ferme Trière.
Le 2, l'ordre n° II du généralissime apporte à tous calme et joie ; on ne doit plus se retirer devant l'ennemi, on ne doit bientôt plus lui céder de terrain. Cet ordre prescrivait, en effet : "Une partie de nos armées se replie pour resserrer leurs dispositifs, recompléter leurs effectifs et se préparer, avec toutes chances de succès, à l'offensive générale qui sera prise dans quelques jours." Ainsi, on ne va plus disputer pas à pas le sol sacré de la Patrie à l'envahisseur, mais on va foncer sur lui, malgré sa force numérique et son outillage supérieur au nôtre.
"C'est par le feu et non par le choc que se décident aujourd'hui les batailles", constatait déjà Napoléon. C'est, en effet, grâce à la supériorité de son feu que l'ennemi nous poussait jusqu'à la Marne. L'ordre d'opérations, pour la journée du 2, est le suivant : "La 4ème armée se maintiendra sur le front Saint-Souplet, Sommepy, Montilier, prête à résister à une attaque venant du Nord. Le corps d'armée colonial défendra la ligne Mantes, Ardeuil, Château-des-Rosiers, bois de la Malmaison, qui sera organisée. Ligne principale de résistance : lisière nord du bois de la Malmaison, ferme des Rosiers, jusqu'à la grande route, à Séchault-Monthois."
Le 3, le corps d'armée colonial se replie vers le sud, ses arrière-gardes (3émeRIC) sur la ligne de hauteurs à deux kilomètres de Saint-Remy, lisière des bois, à quatre kilomètres nord-ouest de Somme-Tourbe. Les avant-postes, installés à 13 h. 45 par le 3ème bataillon, sont attaqués à 16 h. 45, soutenus par les deux autres bataillons, puis par deux batteries de l'artillerie de campagne, se replient „à 20 heures, ayant perdu 4 officiers et 123 hommes de troupe tués, blessés ou disparus. On emmenait les blessés. Le régiment s'installait, à 21h20, à la Croix-en-Champagne. Le 4, la retraite continue sur Saint-Jean-de-Pouesse et, le 5, sur Orconte. Mais l'heure de s'arrêter et d'attaquer vient d'arriver le 6 ; le régiment fait partie de la 2ème division (général Leblois), chargée de l'attaque du front Bignicourt-sur-Marne, Apremont, Villotte, Goncourt. Le 1er et le 3èmebataillons sont employés face au nord-ouest, sur la ligne Norrois, cote 100; le 2ème bataillon est en réserve au nord-ouest de Cloyes.
Le déploiement des bataillons de première ligne arrête le recul des régiments voisins, très éprouvés à l'attaque du pont de Lunemont et des rives de l'Orconte. Un violent combat s'engage qui force les avancées ennemies à reculer. Mais ces mouvements gênent le tir de notre artillerie. Le général Leblois fait replier de 400 mètres en bon ordre l'attaque, fait ouvrir le feu de l'infanterie et de l'artillerie, qui infligent à l'ennemi des pertes considérables et arrêtent son mouvement.
Pendant la nuit, on se retranche. Le 7, le régiment garde ses tranchées toute la journée, sous le feu de l'artillerie allemande, pendant que notre artillerie écrase l'ennemi retranché au nord du canal, aux portes de Lunemont et de Guicourt. Le 8, le régiment, relevé par le 4ème colonial, est placé en réserve à Moncetz-l'Abbaye. Le lieutenant-colonel Condamy prend le commandement du régiment, en remplacement du colonel Lamolle, nommé au commandement, par intérim, de la 3ème brigade. Le 9, il occupe une tête de pont à Moncetz et rentre dans la composition d'une division provisoire aux ordres du général Goullet (réserve d'armée). Il part à 22 heures et marche sur Meix-Thiercelin, où il bivouaque, le 10, dans les bois. Le 11, il cantonne à Thiéblemont. Le 12, la division provisoire est disloquée ; le régiment forme l'arrière-garde de la 3ème division, qui se porte à l'attaque par le buisson de Pouesse. Les 13 et 14, il poursuit l'ennemi jusqu'à Dampierre-sur-Auve, Malmy et Montplaisir.
Le 15, le régiment part à 4 h. 40 pour aller se rassembler face au Nord sur la position de Montremy (ouest de Malmy).
L'ennemi occupe une forte position au sud de Cernay-en-Dormois, de la cote 155 à la cote 165, en passant par la Justice.
A 9 heures, il reçoit l'ordre de se porter à l'attaque de la Briqueterie, de la ferme des Touanges et de Cernay-en-Dormois.
Il franchit dans des formations appropriées, sous une grêle inouïe de marmites et d'obus de tous calibres; les deux kilomètres qui le sépare de Ville-sur-Tourbe, d'où il doit partir pour l'attaque ; à sa droite, devait combattre la 1ère brigade, à sa gauche, le 7ème régiment, dont il devait attendre le débouché au delà de la Tourbe, pour attaquer. La 6ème brigade était chargée,
à l'aile droite du corps d'armée, d'un mouvement enveloppant ; le 2ème corps était plus à droite ; du retard de la 5ème brigade et de l'éloignement du 2ème corps, un vide considérable existe à la droite du régiment, qui est entièrement découvert. A 11 h. 30, l'offensive ennemie, non contenue par nos troupes de première ligne en retraite, est si vigoureuse qu'il importe d'y faire face coûte que coûte.
Le colonel Lamolle, commandant la 3ème brigade, ordonne au régiment, qui ne dispose que de deux bataillons, le "3" étant en réserve de corps d'armée, d'attaquer avec ses seules ressources.
Le 1er bataillon est porté en avant, en flèche en quelque sorte, puisque le 7ème régiment n'est pas encore là. Il s'avance bravement, prend possession de la Briqueterie, son premier objectif, mais ne peut bientôt plus progresser, criblé qu'il est par le feu d'une infanterie et d'une artillerie ennemies très supérieure en nombre et non encore contrebattues par nos 75.
Le 2ème bataillon débouche alors et se porte en avant au nord de Ville-sur-Tourbe. A ce moment, apparaissent, en retraite, les débris du 1er régiment d'infanterie coloniale, vigoureusement pressés par une nombreuse infanterie ennemie, qui nous attaque de front. En même temps, une colonne allemande marche sur le flanc droit du 2ème bataillon, qu'une batterie vient d'essayer de prendre d'enfilade. L'artillerie ennemie fait rage et ses marmites criblent le terrain ; la nôtre doit cesser son feu, faute de munitions, dit-on. La situation est très grave, puisque, d'après les renseignements que nous possédons, confirmés par une reconnaissance du commandant Savy, nous ne disposerions que du seul pont de Ville-sur-Tourbe pour franchir la rivière, que nous avons à dos ; d'autre part, en raison de la retraite d'une brigade et du retard considérable des troupes françaises de droite, si nous ne parvenons pas à boucher le trou existant devant les troupes assaillantes ayant une supériorité numérique écrasante, cette partie du front va être enfoncée.
Le 2ème bataillon reçoit l'ordre de tirer jusqu'à la dernière extrémité et le 1er de contre-attaquer vigoureusement et sans délai la droite ennemie, avec mission de l'arrêter coûte que coûte dans son offensive. L'attaque du 1er bataillon (Caries), bientôt appuyé par la première fraction du 7ème, est si impétueuse qu'elle arrête net l'offensive ennemie et rétablit la situation de ce côté ; mais les pertes sont énormes, le bataillon est fortement réduit et une compagnie entière a été anéantie.
Ce jour-là, le 3ème RIC avait sauvé la situation à droite du CAC.
La bataille de la Marne est terminée, nous sommes vainqueurs. Une partie du territoire national vient d'être libérée, mais l'on est à bout de souffle et l'ennemi va nous imposer, à partir de ce jour, une nouvelle forme de la guerre, la guerre de tranchées.
EN SECTEUR A VILLE-SUR-TOURBE
Quoique nullement préparés à cette guerre de taupes, nos officiers et nos soldats y excellèrent bientôt. Pendant soixante-cinq jours, le régiment tiendra le secteur de Ville-sur-Tourbe, avec le 7ème colonial.
Au 22 novembre, le corps a tenu les tranchées, par tous les temps, soumis à une canonnade qui, en quelques jours, a réduit en ruines la petite ville de Ville-sur-Tourbe et labouré de marmites le terrain environnant. On a compté, entre autres, 180 entonnoirs dans un cercle de cent mètres de rayon environ, au bas du PC du lieutenant-colonel Condamy.
Le régiment a tenu, malgré son faible effectif et une épidémie d'embarras gastrique fébrile, dans des circonstances exceptionnellement ardues.
Pendant soixante-cinq jours, il a repoussé cinq attaques : le 15 septembre, pendant une partie de la journée ; le 17, le 18, le 26 septembre et le 1er octobre. Le 26 septembre, surtout, l'affaire fut chaude. Ce jour-là, il a dû tenir le front avec deux bataillons contre une attaque violente ennemie, d'après les prisonniers par une brigade. En même temps, il devait faire face sur son flanc gauche, au cours même du combat, à une situation exceptionnellement grave créée par l'enlèvement du bois de Ville à un corps voisin. Par suite du retrait de ce corps, il a vu, en effet, soudainement et ensuite pendant tous les combats, son front vigoureusement attaqué, son flanc droit constamment menacé, avec cette circonstance aggravante d'avoir la Tourbe à dos. Il a dû distraire du front, sous une mitraille et une fusillade furieuses, pour former crochet défensif, face au bois de Ville, une partie de ses troupes. Grâce à la rapidité des mesures prises, à la vigueur de l'exécution, au dévouement et à la ténacité de ses troupes et de ses officiers, il a repoussé victorieusement l'ennemi, qui a subi des pertes importantes, ainsi que l'atteste le monceau de cadavres allemands laissé en avant des lignes.
Le régiment se trouve donc, durant cette période, sous un feu sans répit, excessivement violent de l'adversaire et sous la menace d'une attaque de nuit annoncée par le général commandant la 8ème division. Cette attaque s'est produite dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre. Après une préparation formidable par l'artillerie lourde et de campagne ennemie, cinq colonnes allemandes, prises dans les troupes de deuxième ligne, se sont avancées sur nos tranchées, pendant que l'infanterie, en ligne, continuait à tirer. Ces troupes étaient soutenues par leur artillerie, alors que l'artillerie française se faisait à peine entendre. Le régiment tient bon (particulièrement le 3ème bataillon, qui supporte le choc principal) et fait au feu la plus belle figure, se montrant l'égal des meilleurs régiments de notre vieille armée.
Bien que dans une situation assez précaire, il attaque encore énergiquement le 3 octobre, où l'ennemi fit une dernière et violente tentative de percée, à laquelle il dut renoncer par suite de ses pertes.
Jusqu'au 18 décembre, il continue, avec le 7ème, à tenir le secteur de Ville-sur-Tourbe, qu'il a, pour ainsi dire, créé. Il prend part aux attaques des 22 et 28 décembre (attaques du 17ème corps et du CAC. sur Tahure et Nipont) et repousse une tentative d'attaque ennemie, le 23. Il a supporté les veilles, les fatigues sous la pluie, par la gelée, et n'a laissé entendre aucune plainte. Les officiers se rendent compte que leurs hommes sont exténués, mais constatent avec un légitime orgueil que nul ne récrimine et que tous font largement leur devoir jusqu'au dernier moment. Les courages ne se sont point abattus et tous acceptent leur nouvelle tâche, qui est de tenir l'ennemi éloigné d'une position dangereuse pour tout le front du CAC.
Pris d'enfilade de deux côtés sur trois de son front, réduit par sa situation à la défensive, le régiment montre toujours la même énergie et son dévouement ne se dément pas. Il combat et travaille en même temps, avec la ferme certitude que l'ennemi ne passera pas. Cette situation dure jusqu'au 23 février 1915.
ANNEE 1915
LE FORTIN DE BEAUSÉJOUR (27 Février 1915)
Le 24 février 1915, le colonel Condamy, commandant le régiment, reçoit l'ordre d'alerter les bataillons disponibles et de les tenir prêts à partir pour le ravin des Pins, par Courtemont. L'ordre de départ arrive à 1h15. Le Colonel conduit lui-même les six compagnies, qui étaient en réserve à Maffrecourt. Le 1er bataillon (commandant Posth) cantonne à Minaucourt ; le 2ème bataillon (commandant Montégu), au ravin des Pins. Les deux bataillons ont été mis à la disposition du lieutenant-colonel Bonnin, commandant le 22ème régiment d'infanterie coloniale, pour les opérations projetées contre le fortin allemand situé au nord-ouest de Minaucourt et connu sous le nom de Fortin de Beauséjour. Cet ouvrage, pris et perdu déjà sept fois, avait été enlevé et reperdu, le 24, par le 22ème régiment d'infanterie coloniale.
Harangués, le 26, par le colonel et mis au courant de ce qu on attendait d'eux, les hommes des deux bataillons entrent aux tranchées dans la nuit du 26 au 27, animés du plus vif enthousiasme et décidés à s'emparer à tout prix du fortin et à le conserver.
L'attaque, fixée au 27, doit se déclencher à 15h45. L'artillerie la préparera par un bombardement serré de 15h30 à 15h45. Les bataillons sont placés face au fortin à enlever : le 1er bataillon sur la face est, le 2ème bataillon sur la face ouest.
La première vague est formée, au 1er bataillon, par les 2ème et 3ème compagnies ; au 2ème bataillon, par les 5ème et 6ème. La 4ème compagnie et la 7ème doivent aller renforcer les compagnies d'assaut dès que l'ouvrage sera enlevé et consolider les positions conquises. Les 1ère et 8ème compagnies sont en réserve avec deux compagnies du 22ème régiment d'infanterie coloniale.
A l'heure indiquée, les vagues d'assaut s'élancent avec un entrain admirable et dans un ordre superbe. Elles sont reçues par un feu de mousqueterie intense et par un violent tir d'artillerie. Dès les premiers instants, les pertes sont terribles. Les officiers tombent les premiers à la tête de leurs hommes : au 1er bataillon, c'est d'abord le capitaine Saint-Gall, qui tombe blessé, et le sous-lieutenant Coupeau, tué ; puis le capitaine Loche, le sous-lieutenant Boisseau, tués tous deux, et enfin le lieutenant Perrichon, qui, après avoir entraîné les 2ème et 3ème compagnies jusque dans l'ouvrage ennemi, tombe à son tour blessé sous l'ouragan de fer et de plomb. Les deux compagnies hésitent un instant, mais se reprennent vite et se cramponnent au terrain conquis. Rien ne les en délogera plus.
Au 2ème bataillon, le combat est aussi meurtrier et l'élan des marsouins est le même. La première vague entre d'un bond dans l'ouvrage et s'y avance jusqu'au niveau du 1er bataillon.
Les officiers et soldats sont fauchés en masse, mais la position est prise et bien prise. Le bataillon perd le capitaine Delalbre, tué en s'exposant héroïquement pour demander le tir de l'artillerie ; les sous-lieutenants Pelon, Clousset, Rossy sont tués.
Malgré tout, on progresse en combattant à la grenade.
Cependant, l'ennemi veut à toutes forces reprendre le fortin si âprement disputé ; il lance quatre contre-attaques successives. La dernière, faite le 28, à 8 heures, est d'une violence inouïe. Rien ne peut faire lâcher prise aux héroïques compagnies du 3ème régiment d'infanterie coloniale ; malgré le manque de vivres, malgré la pluie, malgré la fatigue des survivants, tous les efforts de l'ennemi échouent. Quand le 91ème régiment d'infanterie vient relever les deux bataillons, l'ouvrage entier est bien à nous.
Les rapports laissés par les chefs de bataillon, forcément sobres de détails, ne donnent malheureusement pas le récit de tous les actes individuels de bravoure, ni les noms de tous les héros qui tombèrent dans cette glorieuse affaire, après des actes dignes d'être inscrits au livre d'or de l'infanterie coloniale.
La tradition du corps a conservé, cependant, le souvenir de cette terrible nuit du 27 au 28, au cours de laquelle quelques hommes, blessés pour la plupart, arrêtèrent sur plusieurs points les allemands cherchant à reprendre les boyaux d'accès.
C'est au cours d'une de ces luttes qu'un adjudant du régiment, se battant à peu près seul derrière un barrage, poussa le cri resté légendaire : "Debout les morts !"
Les bataillons du 3ème régiment d'infanterie coloniale avaient fait l'admiration de tous. Le lieutenant-colonel Bonnin, commandant l'attaque, écrivait au lieutenant-colonel Condamy : "Je vous félicite d'avoir sous vos ordres les soldats du 3ème régiment d'infanterie coloniale. Tous les espoirs sont permis avec de telles troupes."
C'est au cours de l'attaque du fortin de Beauséjour, qui restera un des hauts faits de l'armée coloniale, que le médecin Flourens, grièvement blessé par un éclat d'obus, trouve l'énergie de panser un officier avant de prendre soin de lui-même.
C'est le soldat Bastard, qui, malgré une première blessure, continue à avancer et s'élance à l'assaut au chant de la Marseillaise, malgré une deuxième blessure très sérieuse, et ne consent à quitter le champ de bataille qu'après avoir une troisième blessure qui le mettait dans l'impossibilité de pouvoir combattre.
Le régiment perdait dans cette affaire: tués, 6 officiers, 183 sous-officiers et soldats ; blessés, 11 officiers, 565 sous-officiers et soldats ; disparus, 250 hommes. En outre, 93 blessés légèrement avaient rejoint leur compagnie au combat.
Les unités du 3ème régiment d'infanterie coloniale, relevées dans la nuit du 28 février au 1er mars, sont obligées de rester sous la pluie, mais nul ne se plaint. Le lendemain, quand le chef de corps va visiter les blessés aux ambulances de Brand et de Malmy, ils l'acclament spontanément, lui rappellent ses paroles du 26 et oublient leurs blessures pour ne se préoccuper que du résultat de l'opération à laquelle ils ont pris part. Ce haut fait fut consacré par le général commandant la 4ème armée, dans son ordre n° 19 du 10 mars 1915.
LA GUERRE DE MINES
Pendant le mois de mars, l'ennemi commence des sapes et laisse supposer qu'il est décidé à entreprendre la guerre de mines. Aussi se montre-t-il très actif, surtout devant l'ouvrage Pruneau. Il cherche à pousser ses travaux le plus près possible de nos lignes et essaie d'encercler le saillant, et peut-être de le faire sauter. Il est évident que le secteur de Ville-sur-Tourbe, en flèche, intéresse l'ennemi.
Le régiment prend une attitude agressive en cherchant à enrayer les travaux de l'ennemi. Patrouilles, grenades, feu d'infanterie et tirs d'artillerie, tout coopère à ce but. Le 3 avril, notre génie évente une mine en face de l'ouvrage Pruneau et aménage aussitôt une galerie, de façon à placer une chambre au-dessous de la mine allemande. Le général de division donne l'ordre, le 7, de faire sauter le camouflet placé devant l'ouvrage Pruneau. Cette explosion a amené celle de la mine allemande et un entonnoir assez vaste s'est produit. Il a fallu le réunir à l'ouvrage par un boyau et l'occuper, puis le combler. Ce travail est très pénible et périlleux. Les hommes sont à six mètres de la tête de sape allemande, qui lance constamment des grenades. Ils sont exposés à des feux de mitrailleuses et de canons-revolvers, heureusement trop hauts. Ils ne peuvent travailler que par petits paquets de six ou huit, couchés dans la boue. Les attaques du génie sont reprises et poussées vers l'ennemi, de manière à pouvoir nous fournir des renseignements sur ses travaux. Les boyaux sont remplis d'eau jusqu'aux genoux. La pluie qui tombe sans répit rend inutiles les efforts des écopeurs. Pendant la période du 8 au 12 avril, le travail a été très dur. La pluie persistante met les tranchées et les boyaux dans un état lamentable. Le 15 mai, à 18h25, les allemands font jouer trois énormes fourneaux de mines sur la face nord et nord-ouest de l'ouvrage Pruneau, alors occupé par le 7ème colonial. L'explosion est suivie par un violent bombardement, qui achève de bouleverser les positions et de couper les communications téléphoniques. L'artillerie ennemie prend aussitôt sous son feu les batteries de Montremoy et de Malmy. L'infanterie allemande, aussitôt après la cessation du feu d'artillerie, s'élance et occupe la première ligne, ainsi que la ligne de soutien, sauf une infime partie à l'est, où un sous-lieutenant du 7ème résiste énergiquement avec quelques hommes. La lutte d'infanterie dure une heure, acharnée, pendant que l'artillerie des deux divisions et du corps d'armée fait un barrage en arrière de l'ennemi et tire sur les lignes occupées par les Allemands. La situation se précise vers 20h50 et les contre-attaques peuvent être entreprises. Les bataillons du 3ème sont portés de leurs cantonnements à Brézieux, Malmy et Araja. Quatre compagnies du régiment sont envoyées comme renfort aux bataillons du 7ème, qui ont perdu un monde énorme et presque tous les officiers.
La première contre-attaque, poussée par le bataillon Savignac, du 7ème (trois compagnies), échoue. Le commandant Savignac, blessé, est remplacé par le capitaine Kauffmann, du 7ème.
Les compagnies du 3ème prennent part à une attaque qui est appuyée par l'artillerie de la 2ème division et qui se déclanche à 10h45. Le 17, la contre-attaque se prononce, partie contre la face nord, partie en partant de la face ouest, sur le flanc droit de l'ennemi. La première partie est arrêtée, mais la fraction pousse victorieusement et méthodiquement l'ennemi ; elle progresse, et, à 1h30, la ligne de soutien est reprise. L'ennemi, coupé de sa retraite par un formidable barrage, se rend en masse ; à 2h45, toutes nos tranchées sont reprises et retournées.
Les 1ère, 3ème , 4ème et 9ème compagnies du 3ème, avec trois sections de mitrailleuses, prennent une part active et glorieuse aux deuxième et troisième contre-attaques. Le premier groupe (3ème compagnie du 1er bataillon) prend part à la deuxième contre-attaque sur la face ouest ; la 9ème compagnie mène celle du côté est, liée à des éléments du 7ème colonial. La 1ère compagnie (capitaine Rives) arrive la première à l'ouvrage Pruneau ; après avoir fait ravitailler par une de ses sections les détachements du 7ème qui défendent la face ouest de l'ouvrage, se relie aux 3ème et 4ème compagnies (capitaines Lhomme et de Touby) et, à 1 heure, prononce avec elle la contre-attaque. L'ennemi, énergiquement attaqué, résiste furieusement. Le capitaine Lhomme, commandant la 3ème compagnie, tombe presque au départ ; le capitaine de Touby est également tué en dirigeant le feu sur la face nord et le lancement de grenades. Mais rien ne peut avoir raison de la résolution et du calme plein d'énergie de nos troupes. Le lieutenant Pancol, de la 4ème compagnie, avec l'aide d'éléments du 7ème et de bombardiers du génie, avance malgré tout. L'adjudant Charpenteau, le sergent Servier, de la même compagnie, le secondent avec entrain et occupent l'entonnoir ouest, coupant la retraite à l'ennemi. Le lieutenant Gabrié, du 7ème, et le sergent-major Vincent, de la 1ère compagnie du 3ème, rejoignent, au carrefour de la tranchée de soutien et du boyau central, le lieutenant Pancol et poursuivent la lutte de concert avec lui, refoulant l'ennemi sur la première ligne. Ils prennent trois mitrailleuses, un matériel considérable et de nombreux prisonniers. Grâce à la connaissance du secteur qu'avaient tous les officiers, grâce au ravitaillement en grenades bien organisé, grâce surtout à l'énergie, à la crânerie et à la ténacité de nos hommes, toute cette partie de l'ouvrage Pruneau est réoccupée et son organisation remise en place par le capitaine Rives.
La 9ème compagnie, arrivée à 20h15, avait, pendant ce temps, contribué pour une très large part au succès de nos contre-attaques. Son chef, le lieutenant Lefebvre, recevait à 0h.15, l'ordre de contre-attaquer la partie est de l'ouvrage en liaison avec les éléments du 7ème, qui se tenaient au centre. Bien secondé par le lieutenant Collin, l'adjudant Bastard, le sergent-major Dives, les sergents Vignaud et Derungs, il répartit son unité, donne à tous ses instructions, indique à ses hommes ce que l'on attend d'eux et, à 1h45, il commence l'attaque. Tous montrent un entrain magnifique, se déploient hardiment et en un tel silence que l'ennemi ne s'aperçoit pas d'abord du mouvement.
Mais bientôt il le découvre et le feu terrible de mitrailleuses crépite. La compagnie perd beaucoup de monde, tente néanmoins d'avancer, mais est obligée de s'arrêter, le renfort demandé par le lieutenant Lefebvre ne pouvant lui être envoyé. Cependant, le lieutenant ne se décourage pas. Il fait rassembler les hommes valides dans la tranchée où il est parvenu, intermédiaire entre la tranchée de soutien et la tranchée de première ligne, et réunit les isolés du 7ème qui se joignent à lui. A 3h30, il est prêt à une nouvelle attaque. Précédée par une sérieuse préparation d'artillerie, cette troisième contreattaque se déclanche aussitôt. Les allemands, fougueusement attaqués de front, écrasés par la mitraille, reculent, sont tués ou se rendent. Là aussi, la première ligne est reprise et remise en état. L'ennemi laisse entre nos mains 150 prisonniers et 2 mitrailleuses, des lance-bombes, des armes, des outils, des munitions.
Enfin, les sections de mitrailleuses se sont distinguées par un remarquable sang-froid au moment de l'explosion des mines.
Elles ont empêché les renforts ennemis de s'approcher de nos lignes et aidé puissamment à la reprise de l'ouvrage. Les deux chefs de section Pecaud et Deschamps se font surtout remarquer. Ce dernier est tué. Le total des prisonniers est de 333, dont 9 officiers. Le matériel conquis est considérable.
Une fois de plus, le courage, l'audace et la ténacité du régiment venaient d'être consacrés. Dans son ordre du régiment, le 20 mai 1915, le colonel Desdouis, commandant le 7ème, cita à l'ordre de son régiment, en demandant que ces citations soient portées à l'ordre de l'armée : "Les officiers, sous-officiers, caporaux et soldats des 1ere, 2ème, 3ème et 4ème compagnies du 3ème régiment d'infanterie coloniale, qui, appelés dans la nuit du 15 au 16 mai, au secours de leurs camarades du 7ème assaillis par l'ennemi, leur ont apporté le secours de leur vaillance et les ont aidé à reconquérir les positions de tranchées momentanément tombées en la possession de l'ennemi."
L'OFFENSIVE DU 25 SEPTEMBRE 1915
Le régiment continue à assurer la garde du secteur de Ville-sur-Tourbe jusqu'au 29 mai. A cette date, le corps d'armée colonial est relevé par le 16ème corps et le 15ème. Le régiment quitte Maffrecourt. Le corps d'armée colonial doit soutenir le 35ème corps dans ses attaques sur Tracy-le-Mont et Moulin-sous- Touvent. Le régiment, en réserve de groupe d'armées, stationne successivement dans la forêt de Laignes, au carrefour de la Chapelle-SainteCroix, à Tosly-Breuil et à Breuil pendant les 6, 7 et 8 juin. Ces journées se passent en mouvements et en alertes, elles sont très fatigantes, en raison de la longueur des étapes sur des routes encombrées. Le 14 juin, le régiment s'embarque à Pierrefonds pour une destination inconnue, débarque à Amiens-Saint-Roch d'où il se dirige sur Beauquesnè, où il arrive le 16. Le 18, il part en auto pour Sus-Saint-Léger. Il est réserve de groupe d'armées. Les 1er et 2ème bataillons cantonnent à Oppy-Saint-Léger du 19 au 30 juin, pendant que le 3ème bataillon est à Saint-Pol-Baudricourt. Le 1er bataillon cantonne successivement à Terramesnil, Vignacourt, Plivot et le camp Gouraud. Le 15 août, il prend les tranchées de Ville-sur- Tourbe. Les 2ème et 3ème bataillons sont en secteurs depuis le 12 septembre. Le régiment se prépare pour la grande offensive du 25 septembre. Le matin du 25 septembre, le 2ème bataillon occupe les faces ouest et nord de l'ouvrage Pruneau. Il contribue à la transformation en parallèle de départ et reçoit, comme ordre, de tenir ses tranchées pendant l'attaque. Il formera une troisième vague d'assaut si besoin est. Les 1er et 3ème bataillons accolés forment les deux premières vagues. Ils ont pour objectifs, le 1er la Justice, le 2ème le petit bois de l'Oreille, à l'est de 191. Ils doivent pousser ensuite, si possible, jusqu'à La Dormoise. La préparation d'artillerie, commencée le 22, est terrible. Jusqu'à ce jour, on n'avait rien vu de semblable. Le terrain est pilé. Tout saute, c'est infernal, le boche ne pourra tenir. L'attaque est fixée à 8h30. Dès que le signal est donné, les hommes bondissent hors de la tranchée et se portent en avant avec un élan superbe, mais dans un ordre parfait. Cependant, un feu terrible les accueille presque au débouché de la parallèle. Le chef de bataillon Posth tombe dans la tranchée. Le commandant Raudot est tué à peine sorti ; les pertes sont sensibles, surtout au 1er bataillon, devant lequel les fils de fer n'ont pas été coupés. La première vague, de ce côté, est en partie fauchée. La deuxième la renforce, arrive jusqu'à la première tranchée allemande et s'y maintient aux prix de lourds sacrifices. Vers la gauche, le 3ème bataillon est plus heureux, il enlève une partie de la deuxième ligne de 191 et peut s'y maintenir. Le lieutenant-colonel Condamy, qui se trouve à l'ouvrage A, sort avec la deuxième vague. Il a avec lui son adjoint, le capitaine Marec, l'adjudant Faucher et ses cyclistes. Il arrive jusqu'à la tranchée ennemie et s'y jette avec les hommes qui l'occupent déjà. Mais, à ce moment, l'ennemi prononce sur cette partie de notre ligne une violente contre-attaque. Le commandant du régiment se met au parapet, un fusil à la main et fait le coup de feu au milieu de ses soldats. L'adjudant Faucher et le capitaine Marec l'imitent. Le colonel reçoit presque aussitôt une balle dans la bouche et tombe dans la tranchée. Le capitaine Marec et le cycliste Tullaud essaient de lui donner des soins ; il meurt dans leurs bras. L'adjudant est tué. Malgré les efforts de l'ennemi, qui parvient à reprendre sa première ligne entre l'ouvrage Pruneau et la route de Vouziers, le 3ème bataillon se maintient dans 191 et réussit même à progresser. Le 29, l'attaque était reprise à la grenade ; les efforts de ce bataillon contribuent à faire tomber la défense allemande sur ce point. Le régiment s'est comporté dans cette affaire, comme à son habitude depuis août 1914. Ses pertes sont terribles ; la seule liste des officiers tués peut en donner une idée : outre le lieutenant-colonel Condamy, les commandants Posth et Raudot sont tués en entraînant leurs bataillons ; les capitaines Bosc, Lefebvre, le héros du 15 mai, Maître, Pierre, Babet, à la bravoure légendaire, Rives tombent glorieusement. Avec eux, succombent aussi vaillamment les lieutenants et sous-lieutenants Cauzan, Pancol, Derungs, Lapeyre, Lescurat, Roblin et Collin. Le témoignage du cycliste Tullaud fait connaître que le capitaine Rives, affreusement blessé au ventre par un éclat d'obus, répond à ce soldat qui lui offre des soins : "Va, mon affaire est faite, ne t'occupe pas de moi, fais du beau travail !" Malgré cette sanglante saignée, le régiment reste en place et combat jusqu'au 29, aide à élargir le terrain gagné et n'est relevé que le 30 par le 4ème bataillon de chasseurs et un escadron de cavalerie à pied, après avoir solidement installé les positions enlevées à l'ennemi. Après la relève (1er et 2 octobre), le régiment se reforme à Verrière et reprend les tranchées de Massiges et de 191.
ANNEE 1916
EN ROUTE VERS L'ORIENT - LA PROVENCE II
Le régiment est retiré du front le 23 octobre et va cantonner à Possesse et Oissery (1er bataillon), Possesse et Puisieux (2ème bataillon), Possesse et Forfry (3ème bataillon), jusqu'au 31 décembre 1915. A partir du 1er janvier 1916, les trois bataillons du régiment changent continuellement de cantonnements. Le 1er occupe Survilliers, Gouvieux, Cires-Ies-Mell, Montreuil-sur- Thérain, Verderel, Troussencourt, Epagny, Marcelcave. Les 2ème et 3ème bataillons occupent successivement Mortefontaine, Gouvieux, Cires-les-Melle, Bailleul-sur- Thérain, Guéguégne, Maisoncelle-Tuilerie, Folleville, Marcelcave, Aubecourt. Le régiment est alors désigné pour l'Orient. Il est transporté à Lyon où il cantonne, le 5 février, à Tassin-la-Demi-Lune. Il y reçoit l'ordre de se constituer sur le pied alpin à trois bataillons, deux compagnies de mitrailleuses, une C. H. R. Les opérations d'habillement, de renforcement et le changement de matériel durent jusqu'au 16. Le 20, les 1er et 2ème bataillons et une compagnie de mitrailleuses s'embarquent en deux trains, à midi et à 14 heures, en gare de Lyon- Vaise, à destination de Toulon. Ces deux éléments, moins la 2ème compagnie, quittent Toulon à 14 heures, à bord du Burdigala, à destination de Salonique. Le 22, le 3ème bataillon, la C. H. R. et la 1ère compagnie de mitrailleuses s'embarquent pour Toulon. Ils quittent cette ville avec la 2ème compagnie, le 23 février, à bord de la Provence II. Le détachement embarqué à bord du Burdigala débarque à Salonique, le 26, et est immédiatement dirigé sous une pluie battante vers le sud de la ville ; le 1er bataillon bivouaque à la nouvelle Ecole d'Agriculture, le 2ème bataillon à l'ancienne Ecole d'Agriculture.
La Provence est coulée par une torpille, à 15 heures, le 26 février, à deux milles Sud-Sud-Ouest de Sapienza, dans la mer Ionienne. Le bâtiment a coulé en quinze minutes. Malgré le dévouement de tous, seuls 7 officiers et 500 hommes environ ont pu être sauvés. Les actes de courage furent nombreux au cours du sinistre : officiers et hommes rivalisent d'ardeur, de dévouement et d'abnégation en organisant le sauvetage. C'est le sergent-major Canier Alfred, modèle de sang-froid, qui prêche le calme autour de lui et qui, au moment de l'engloutissement, pousse, comme ses aînés les marins du Vengeur, le cri de "Vive la France !", répété par tous. Ce sont les soldats Laguet, Louis, et Raden, Alexis, qui se jettent, à trois reprises différentes, à la mer afin d'alléger et de permettre de vider l'embarcation pleine d'eau et qui menaçait de sombrer. Signalons le capitaine Doby, de la 2ème compagnie, qui fait embarquer lui-même ses hommes dans les canots, refusant, à plusieurs reprises, la place qui lui était offerte et qui ne se jette à la mer, où il a trouvé la mort, qu'au dernier moment. Mentionnons le nom du lieutenant-colonel Duhalde, commandant le régiment, qui reste sur la passerelle aux côtés du commandant du bateau, qu'il n'a pas voulu quitter et qui est englouti avec lui. Le drapeau du régiment, qui était à bord, dans la cabine du lieutenant-colonel, n'a pu être sauvé et a disparu dans les flots. Tous, officiers et soldats, ont le regret profond de cette perte. Le drapeau était pour eux non seulement le souvenir de la Patrie qu'ils allaient défendre sur un nouveau front, mais la mémoire des hauts faits d'armes accomplis par les camarades disparus. Malgré le froid excessif, beaucoup continuent à lutter contre la mort autour de l'endroit où vient de disparaître à jamais le bateau. Nombreuses sont les embarcations, nombreux sont les hommes accrochés à des planches, à des poutres, à des balles de paille, qui luttent contre la mer, complice inconsciente qui achève le crime du pirate boche. La température s'abaisse et beaucoup de nos soldats, qui se croyaient sauvés, sont trahis par leurs forces et succombent, malgré l'inlassable dévouement de leurs compagnons d'infortune. C'est ainsi que, sur les 22 survivants qui étaient dans le canot de l'adjudant chef Fradin, 16 meurent fous. A la nuit, le sous-marin ennemi, qui ne s'était pas éloigné du lieu du crime, vient éclairer, avec son projecteur, les quelques survivants qui continuent à lutter contre le destin ; il disparaît sans leur porter secours. Ces rescapés sont recueillis dans la journée du lendemain 27; il y en a qui ne sont recueillis que le 28. Divisés en deux groupes qui sont dirigés : 200 environ sur Malte, sous le commandement du capitaine Berthomié ; 300 sur Milo, puis sur Mytilène, sous le commandement du capitaine Marchai, ces rescapés rejoignent en trois détachements, le 14 ; le 21 mars (ceux de Mytilène) et, le 26 mars, ceux venant de Malte.
DANS LE CAMP RETRANCHÉ DE SALONIQUE
Le régiment, sous les ordres du commandant Noirot, est employé à réparer les routes Salonique-Vasilika. Le 17 mars, le colonel Bordeaux, du 57ème colonial, est nommé au commandement du régiment et prend le commandement par intérim de la 2ème brigade de la 17ème division d'infanterie coloniale, dont fait partie le 3ème régiment d'infanterie coloniale. Par décision du 27 mars, le 3ème bataillon est supprimé. Ses éléments serviront à recompléter la 2ème compagnie et à constituer la C. H. R. Le chef de bataillon Noirot, commandant le régiment, est nommé gouverneur de la presqu'île de Karabouroum, qui commande les passes de Salonique. Il est remplacé dans le commandement du régiment par le commandant Montégu. Outre les travaux de route, le régiment, et plus spécialement le 1er bataillon, établit, sous la direction du génie, un appontement pour l'armée serbe, qui, réorganisée, va bientôt quitter Corfou. Le 1er avril, le général Gérôme, commandant la 17ème division d'infanterie coloniale, et le colonel Bordeaux, commandant la 2ème brigade par intérim, passent le régiment en revue à l'ancienne Ecole d'Agriculture. Le 4, le colonel Bordeaux est nommé au commandement de la 2ème brigade, en remplacement du général Simonin. Le lieutenant-colonel Debieuvre est nommé au commandement du régiment, mais il ne rejoint pas. Des officiers et des sous-officiers sont envoyés reconnaître les différents secteurs du camp retranché où la division pourrait être appelée à combattre. La 2ème compagnie est envoyée au sud de Sèdes, entre la route Salonique-Vasilika et la Vasilika-Déré, pour établir une nouvelle route destinée aux Serbes. Vu l'urgence de terminer la route, la 3ème compagnie lui est adjointe ; on travaille dans les marais. Le 1er mai, le lieutenant-colonel Calisti vient prendre le commandement du régiment, qui reçoit l'ordre de se tenir prêt à partir.
LA STRUMA
Le 3 mai, le régiment se rassemble à l'ancienne Ecole d'Agriculture. Le 4, il part à 5h30 et va bivouaquer, après une marche très pénible, à Ajvasil, sur le lac Langaza. On a suivi la piste Ecole d'Agriculture, Kapudzilar, Akukli, Ajvasil. On a laissé beaucoup de monde en route pendant cette marche, à cause de la chaleur. Le bivouac du régiment est situé en dehors du village, dans le petit bois à l'est d'Ajvasil. On repart, le lendemain, sur Guvesne par Stanwon, Tumba, Lajna. A deux kilomètres de ce village, nous prenons la grande route Salonique-Sérès. Arrivés à Ajvasil, le régiment fait une grande halte. On rejoint avec peine Guvesne. On bivouaque à trois kilomètres environ avant d'arriver au village. Le 6, la marche en avant est reprise. Cette marche est très pénible, la route monte constamment, la pente est très forte ; de la cote 185 (Guvesne), la route atteint la cote 544 à Karadza Tépé. Vers 10 heures du matin, avant la grande halte, le régiment défile devant le général Gérôme, commandant la division. Le 7, on arriva au village de Lahana, après avoir traversé Likovan. Le régiment est réparti (en avant du village) en trois bivouacs : le 1er bataillon, au kilomètre 53, de chaque côté de la route ; l'état-major et la C. H. R. au kilomètre 54, le 2ème bataillon au kilomètre 55; la division étant en dehors du camp retranché et n'étant plus couverte que par les troupes grecques, ordre est donné de cercler les camps, qui sont gardés par de petits postes. Les marches ont été dures et les étapes exceptionnellement fortes. Le régiment a perdu son entraînement. Néanmoins, quelque temps après la rude épreuve dont le corps reste affaibli, le 1er bataillon arrive à couvrir, pendant une marche, 36 kilomètres en terrain très accidenté, sans avoir un seul traînard. Le 26 mai, le commandant Beaudelaire prend le commandement du régiment, en remplacement du lieutenant-colonel Calisti, parti en permission. Officiers et soldats regrettent ce chef bienveillant et énergique qui, malgré son court séjour au régiment, avait conquis tous les cœurs par sa droiture et l'action de son commandement. Les bivouacs du régiment, placés sur des coteaux couverts de petits arbustes, sont agréables. Partout, dans la région, on retrouve encore les traces de combats sanglants de la campagne balkanique 1912-1913. On domine toute la vallée de la Struma, surplombée à l'horizon par les Monts-Noirs des Bélès. Mais le régiment n'est pas au bout de ses fatigues et il lui faut bientôt, à la suite de la trahison du roi de Grèce Constantin, quitter la région agréable de Lahana, où les hommes commençaient à reprendre haleine. Le fort de Rupel, qui commande la région Demir-Hissar-Sérès, est cédé aux Bulgares, que la riche vallée de la Struma traverse ; leurs bandes de comitadjis commencent leurs incursions dans la vallée. Il faut parer à cette invasion. Aussi, le 7 juin, commence le mouvement qui va nous mener dans la région Orliak-Kopriva. Jusqu'au pont d'Orliak, la marche est peu pénible. A partir de ce pont, la route fait place à un chemin de terre qui serpente, à travers de riches cultures, sur la rive droite du Karasu-Caj. La marche est plus lente, rendue pénible par la chaleur, la poussière et l'absence de vent. Cependant, le spectacle est magnifique de ces champs de maïs, de blé, de tabac, de pavots, dont les tiges sont énormes : elles ont plus de 2 mètres de haut. Le 8, à 4h30, on reprend le mouvement. L'avant-garde fait une grande halte à la pointe du Bukova-Golu, alors que le gros se repose sur les bords du ruisseau Orta-Mah. A partir de ce ruisseau, la piste traverse une presqu'île boisée qui surplombe la pointe sud du lac et des marais. Pendant la traversée du bois, la piste devient sentier. On ne voit plus rien, si ce n est, de temps en temps, des marais que l'on domine d'une trentaine de mètres et à pic. Dans la soirée, le bataillon d'avant-garde pousse ses reconnaissances sur la croupe au nord-ouest de Lozista (500 mètres), la réserve des avant-postes (deux compagnies) à Lozista ; 2ème bataillon, la compagnie de mitrailleuses et la compagnie hors rang sur Bestamik-Mah. Toute cette vallée de la Struma est d'une fertilité exubérante ; mais, dans cette vallée encaissée et étroite couverte de nombreux marécages, il n'y a jamais de brise, l'on y étouffe sous une chaleur humide qui vient à bout des hommes les plus solides. On y a à lutter contre les moustiques. La nuit, il n'y a presque pas d'abaissement de température, ce qui exclut tout repos. Pendant le séjour à Lozista, le bataillon d'avant-garde (1er bataillon) organise l'évacuation des réfugiés grecs de la Butrova (rivière qui se jette dans la Bukova-Golu), qui fuient devant l'invasion bulgare et qui viennent s'installer dans le village turc. Le bataillon organise également les croupes du Lozista et du Kran-Mah. Le 13, un régiment de cavalerie anglaise (Yeomanry) établit son camp entre le bivouac du régiment et le lac de BukovaGolu. Cette cavalerie vient du Sud. Le 16, à 7 heures, un bataillon d'infanterie anglaise, venant de la direction de Kopriva, relève nos avant-postes au nord de Lozista. A 21h30, en exécution de l'ordre de la brigade, le régiment, formant un groupe commandé par le commandant Beaudelaire, avec le groupe d'artillerie de montagne Lemaître et la compagnie 4/64 du génie, quitte ses bivouacs, passant au point initial à hauteur de Lozista, à 19h30, et se dirige vers Todorovo. Dès 19 heures, une flanc-garde, 1ère compagnie, sous les ordres du capitaine Boisson, occupe Bukova, où elle se tiendra pendant tout le passage de la colonne. Les équipages du régiment sont dirigés sur Salonique. Le 17, vers 2h30, la tête de la colonne arrive à Todorovo. Le groupe Beaudelaire bivouaque au sud du village, sur la piste muletière qui conduit à Snèvre. La marche a été dure. A 19 heures, le groupe Beaudelaire se porte sur Ismailli par la route stratégique bulgare, qui domine la vallée de la Bukova. Cette route est en bon état, bien tracée et serpente au milieu des bouquets de bois ; elle conduit au fort de DovaTépé, occupé par les éléments de la 57ème division d'infanterie. On bivouaque au milieu des bois. La chaleur continue à être accablante. A 22 h. 30, le régiment quitte son bivouac pour se porter isolément sur Patères, par Snèvre, Moravca. Il arrive à Patères vers 3 heures et, à 4 heures, il bivouaque dans le ravin, à 200 mètres au sud du village. Le secteur est tenu par les anglais. A 10 heures, on prend contact avec eux ; à 5 heures, le 20 juin, le commandant Beaudelaire, avec les chefs de bataillon et les commandants de compagnies, va reconnaître les positions à occuper. A minuit, le 2ème bataillon se porte sur la ligne de hauteurs 217 (Kilindir-Gola), où il arrive à 2 heures. Le 1er bataillon prend ses positions dans le village de Patères ; à 10h30, un officier de l'état-major de la brigade de la 156ème division d'infanterie, qui est vers Kilindir, prend contact avec le régiment, à Patères. Le 21, la reconnaissance des positions de première ligne est faite par le colonel Bordeaux, commandant la 34ème brigade, accompagné du commandant Beaudelaire. Il est décidé que la croupe 217 sera occupée effectivement en permanence par deux compagnies du 2ème bataillon, les deux autres compagnies étant au sud des pentes. L'état sanitaire du régiment est à ce moment très médiocre. Depuis le 7 juin, 182 soldats ont dû être évacués et, tous les jours, il présente une moyenne de 120 hommes indisponibles. Cet état tient, d'abord, à ce que les hommes actuellement en service ne sont pas entraînés ; la majorité sont âgés de 36 à 42 ans. En outre, les marches ont été pénibles, car les hommes n étaient pas habitués au climat macédonien avec son soleil vif et sa chaleur forte et humide. A la fin de juin, les cas de paludisme et de dysenterie sont nombreux au régiment et ils augmentent chaque jour. L'affection a dû être certainement contractée pendant notre passage dans la vallée de la Struma et plus particulièrement à Lozista, où les anophèles étaient légion.
RÉGION DE DOIRAN - ATTAQUES D'AOUT 1916
Le 27 juin, le commandant Pinchon, du 1er régiment d'infanterie coloniale, est nommé lieutenant-colonel commandant le 3ème régiment d'infanterie coloniale. Pendant le mois de juin, le régiment aménage la piste Patères et organise la ligne de hauteurs Kilindir-Gola. Le centre de résistance de la cote 217 (piton des Anglais) comprend trois points d'appui : le piton Galliéni, le point d'appui du piton des anglais et le camp des Romains, qui commandent la vallée du Gjol-Ajak, dans laquelle on a, sur la rive droite, la voie ferrée Salonique-Sérès, et, sur la rive gauche, l'ancienne route romaine Kilindir-Doiran. Une position de seconde ligne ou position de repli de sous-secteur est prévue sur les hauteurs entourant le moulin de Patères : cinq kilomètres nous séparent des lignes bulgares, dont une des avancées est la redoute de 227. Mais la véritable ligne de résistance ennemie couvre la ligne Doiran et est située sur le mouvement de terrain qui sépare le ravin des Jumeaux et le ravin de la Manutention, qui se jettent tous deux dans le lac. Ces ouvrages constituent la ligne des 0 avec le Petit-Couronné. En arrière de Doiran, on a une deuxième ligne, la ligne des P, qui aboutit aux Dub (cote 535). Les ouvrages des Dub constituent le Grand-Couronné. De nombreuses reconnaissances d'officiers sont envoyées entre les lignes avec, pour mission, de reconnaître les cheminements, les couverts, Gjol-Ajak, les places d'armes. Tous, officiers et soldats, rivalisent d'entrain, d'audace. Cependant, les reconnaissances exécutées par les sous-lieutenants Giancyli, de la 1ère compagnie, et Perron, de la 3ème, méritent une mention spéciale. L'attaque du 227 et des plateaux nord-ouest de Vladaja par le 3ème colonial est ordonnée pour la nuit du 9 au 10 août. Le 1er bataillon (commandant Fiérard) doit occuper les crêtes nord-ouest du Vladaja, vers 227, commandant le col de la voie romaine Kilindir-Doiran, en liaison vers l'église de Vladaja, avec les troupes anglaises. Une compagnie de mitrailleuses du 1er régiment d'infanterie coloniale (compagnie Chevalier) doit flanquer le bataillon Beaudelaire, du bas des pentes de 227 vers le plateau de Doiran. La première nuit qui suivra le bombardement, les bataillons Beaudelaire et Fiérard, et la compagnie de mitrailleuses Chevalier quitteront leurs emplacements actuels, à 22 heures, pour occuper leurs places (dans le fond du Gjol-Ajak) par les itinéraires fixés, la compagnie Chevalier pour occuper ses positions de combat.
Après un intense bombardement, auquel prennent part trois groupes de 75, un groupe de 65 et un groupe de 155, ainsi que le train blindé qui tire de sa station de Kilindir, l'ennemi, affolé, évacue 227 et la gare de Doiran. La cote 227, qui était attaquée par les 2ème et 1ère compagnies, est enlevée sans coup férir et la position est ainsi occupée. Une compagnie et une section de mitrailleuses tiennent les pentes de 227 à la route de Doiran-station à Doiran-ville, une compagnie et une section de mitrailleuses défendent les pentes sud-ouest de 227, en liaison avec la compagnie de droite du bataillon Fiérard ; une compagnie, avec les pionniers du régiment, organise défensivement la redoute conquise, pleine de cadavres ennemis. Une compagnie et un peloton de mitrailleuses en réserve derrière les crêtes nord et est de 227. Le bataillon Fiérard occupe le col et l'organise défensivement entre 227 et l'église de Vladaja. Dans la matinée du 10, le 1er régiment d'infanterie coloniale appuie notre mouvement à gauche, vers la Tortue, mamelon isolé entre le ravin des Jumeaux et Vladaja. Nous resserrons notre front, notre gauche appuyée à la route Kilindir-Doiran, mais le 1er ne peut avancer. Du 10 au 15, nous organisons et consolidons nos positions, en même temps que nous envoyons des reconnaissances tâter le front de l'ennemi du lac Doiran, jusque vers la branche G du ravin des Jumeaux. Ces reconnaissances constatent que le front ennemi est fortement organisé, en particulier la presqu'île boisée (jardins avec arbres fruitiers, entre le lac et la route de Doiran-Ville à Doiran-Station). Le terrain d'attaque est constitué par des plateaux coupés par de profonds ravins. Le régiment, dans la nuit du 14 au 15, reçoit l'ordre d'enlever la presqu'île boisée. La 2ème compagnie (compagnie Dop) tente l'attaque par surprise : elle est arrêtée par un solide réseau et par un violent feu de mousqueterie et de grenades ; malgré l'élan des hommes, la compagnie revient sur ses positions de départ. Une préparation d'artillerie est jugée nécessaire. Le régiment reçoit alors l'ordre d'enlever, le 15 au matin, à 7h30, les positions occupées par l'ennemi et de s'installer face aux ouvrages 01 et 05. Après une courte mais intense préparation d'artillerie, faite par les groupes de 155, de 7 heures à 7h30, le bataillon part à l'assaut et enlève la position indiquée, la 2ème compagnie à droite, dans la presqu'île boisée, la 3ème compagnie à gauche, devant 01 et Os. Les bulgares, dirigés par des officiers allemands, essaient de résister, mais le commandant Beaudelaire, la canne à la main, calme et froid sous la mitraille, communique à son bataillon son énergie morale. Le mamelon Brûlé est enlevé au pas de course, et les premières vagues, dans un élan admirable, prennent pied sur la rive gauche du ravin des Jumeaux. L'ennemi fuit, laissant sur le terrain un matériel considérable. D'après les prisonniers et les déserteurs, les pertes de l'ennemi auraient été, du 9 au 15 août, de 2500 hommes tués ou blessés. Tous les serbes, ce jour-là, tressaillirent de joie. Un régiment de marsouins venait d'arracher à l'ennemi commun un lambeau de leur patrie, où leurs femmes et leurs enfants les attendent avec constance et confiance. La Serbie n'est pas morte, grâce au 3ème RIC. ; une aube nouvelle, qui conduira l'armée reconstituée à Corfou, vers la victoire et la délivrance, vient de paraître. Le 16, le régiment passe la journée à organiser ses nouvelles positions et à préparer une attaque éventuelle sur 01 et 05 du Petit-Couronné. L'attaque est ordonnée pour le 17 au matin, mais elle est contremandée à minuit. Nos pertes, du 9 au 16, furent : 3 officiers blessés (lieutenant Ravat, sous-lieutenant Kœlher, sous-lieutenant Dupoy), 19 tués, 84 blessés. Du 17 au 31, nous consolidons nos positions par une organisation défensive de points d'appui : un bataillon de ligne, un en réserve. Nous avons deux officiers blessés (le capitaine Giraud et le sous-lieutenant Siomme), tous deux de la 8ème compagnie ; 6 tués et 37 blessés. Le 14 septembre, en exécution des ordres du Grand Quartier Général, le régiment est réorganisé à trois bataillons par la suppression des 4ème et 8ème compagnies, qui deviennent 9ème et 10ème compagnies de mitrailleuses, et la section hors rang. Le 15 septembre, le capitaine Coronnat, du 56ème régiment d'infanterie coloniale, vient prendre le commandement du 3ème bataillon. Le 11, le régiment reçoit le peloton de mitrailleuses du bataillon bosniaque, destiné à la 3ème compagnie de mitrailleuses. Le 15, le régiment, par suite du retrait de la 33ème brigade de la division, étend ses positions en occupant Lanau et Grandchamp, devant 03 ; pendant tout le mois, on organise et on renforce les positions. Dans la nuit du 1er et 2 octobre, à la faveur d'un orage, une forte reconnaissance bulgare tente d'aborder nos lignes devant la 1ère compagnie ; elle est repoussée grâce au sang-froid et au courage du sous-lieutenant Mangeat, qui tombe tué. Le 29 octobre, le régiment est relevé par les troupes anglaises et va cantonner à Patères, d'où il repart, le lendemain, pour Vajsili.
VAJSILI ET MARCHES VERS LA BOUCLE DE LA CERNA
Le régiment installe ses bivouacs sur les croupes boisées entre Vajsili et Mahmudly, rive droite de la Spana. Le village de Vajsili est misérable et ne présente aucune ressource. Le régiment est au repos et en profite pour faire des exercices et des marches qui remettent les hommes en mains. On reçoit des renforts en hommes et en officiers. Le capitaine Marchand, nommé chef de bataillon, prend le commandement du 2ème bataillon, à la place du commandant Fiérard, passé au 1er bataillon indochinois. Le corps ayant reçu un nouveau drapeau, le 3 novembre, le lieutenant-colonel le présente aux troupes, en présence du colonel Bordeaux, commandant la 34ème brigade mixte. Le 21, on reçoit l'ordre de quitter Vajsili pour Sarrigol. Le départ a lieu à 20 heures. On atteint Sarrigol par la route Mahmudli, Jardimli, Kara-Mahmudli, Gramatua, Kukus. On arrive à Sarrigol, le 22, à 4 heures ; la marche n'a pas été pénible. Le régiment établit son bivouac sur la crête nord de Sarrigol, entre la route et la voie ferrée. Dans la journée, ordre est donné de se porter sur Nares par Kavalli-Salamanli. La marche est dure, car la route est en très mauvais état, surtout au village d'Hasan-Obasi, où il y a environ 15 centimètres de boue. Le régiment cantonne aux environs du moulin. Dans la soirée, on repart sur Topein en passant par Bunardza. Le régiment rentre dans le camp retranché de Salonique, gardé par des troupes annamites. Le bivouac est installé au nord de la station. On se repose pendant la journée du 25. On reçoit le 2ème peloton de la 3ème compagnie de mitrailleuses. Ce peloton vient du détachement de la Struma, qui était rattaché au 115ème territorial. Le 25 au soir, on part sur Jenidge-Vardar. On traverse le Vardar et on quitte le camp retranché. La route est bonne, elle s'engage à un moment donné dans les marais au nord de Gulhalar. Il n'y a pas de traînards ; on bivouaque à la sortie ouest de la petite ville, moitié grecque, moitié turque, qui porte encore les marques de la bataille de 1912. Le 26, la marche est reprise sur Vertekop, où l'on arrive dans la soirée ; on bivouaque au nord de la route, à côté de l'hôpital anglais. Le 27, le régiment se porte sur Vladovo, par Vodena, suivant une forte pente. A l'entrée de la ville de Vodena, sur un parcours de un kilomètre, la route passe de la cote 237 à la cote 276; à la sortie de la ville, elle est à 310. Vodena, très turque, est bâtie sur une terrasse qui, vers le sud, tombe à pic sur la vallée de la Nisla- Voda, qui forme, le long du rocher, des cascades gigantesques. Les pentes sont couvertes de vignobles et de forêts. C'est un des derniers îlots de verdure de cette partie méridionale de Macédoine, que recherchaient les pachas turcs pour leur villégiature d'été. Le lendemain 28, on pousse jusqu'à Ostrovo. On bivouaque sur les bords du lac aux rives pierreuses et sauvages, où l'on séjourne toute la journée du 29. C'est de ces crêtes grises que sont partis les serbes au début de leur offensive. Le 1er décembre, on se porte sur Banica par la gorge de Golce et Cornicevo, que les serbes ont enlevé de haute lutte trois mois auparavant. A compter de ce jour, le régiment est rattaché à la 17ème division d'infanterie coloniale, qui fait partie de la 1ère armée serbe, commandée par le voïvode Mitchitch. Nous marchons désormais dans la fameuse plaine de Monastir, limitée, à l'ouest, par les hautes montagnes d'Albanie ; à l'Est, par le Kaïmakalan, sur la neige duquel on distingue la ligne rousse des barbelés et qui nous domine de ses 2600 mètres comme le géant de ce pays. Le 2, on va sur Hasan-Oba et Orta-Oba, sur la rive droite de la Sukuleva. On est sur le champ de la bataille que d'autres marsouins viennent de livrer aux Bulgares pour la conquête de Florina et de Kinali. Le 3, on passe la Cerna à Brod, tête de pont criblée d'obus, théâtre d'une lutte sauvage entre serbes, zouaves et bulgares peu de temps auparavant à la prise de la ligne de repli Makensen, et au passage de la rivière, puis, par Gardilivo, Baldenci, on gagne Négotin, sur les pentes ouest de la Seletchka-Planina, massif dit de la boucle de la Cerna. Le général Gérôme, commandant la 17ème division, vient visiter le régiment et nous annonce qu'on va reprendre l'offensive, avec la ville de Prilep pour objectif.
ATTAQUE DU 9 DÉCEMBRE 1916
Le 3ème relève, dans la nuit du 4 au 5, le 35ème colonial et un bataillon du 56ème colonial. Le 3ème a le 44ème régiment d'infanterie coloniale à sa gauche et 1ère la brigade russe à sa droite. Les tranchées occupées par le 3ème sont en flèche; elles font face à Vlaklar, à la limite est de la plaine marécageuse où se perd la Cerna en de multiples ruisselets ; le 3ème bataillon est en retrait des compagnies du 1er bataillon et a sa droite appuyée au ravin de Paralovo. L'ennemi occupe Méglenci, le village de Vlaklar, et, à droite, le premier piton du massif de la boucle de la Cerna 1050, d'où ses postes d'observation voient tout ce qui se passe dans nos lignes. Notre tranchée est à peine ébauchée ; elle a 50 centimètres au maximum, les éléments ne sont pas continus ; en certains endroits, il n'y a que des trous de tirailleurs : aucune défense accessoire ne les protège. La pluie rend le terrain marécageux. Le régiment organise un peu les tranchées occupées. Tout mouvement de jour est impossible. La pluie persiste ; les trous de tirailleurs et les éléments de tranchées se remplissent d'eau. Le 5, la brigade communique l'ordre suivant : "De 14 heures à 14h10, tir violent d'artillerie ; de 14h10 à 14h27, envoyez des patrouilles reconnaître la ligne ennemie. A partir de 15h30, le tir d'artillerie recommencera." Les 1er et 3ème bataillons envoient des patrouilles à l'heure indiquée. Ces patrouilles ne peuvent progresser en raison du tir de barrage ennemi. La 2ème compagnie est particulièrement prise à partie par l'artillerie ennemie. Pendant la nuit, nos patrouilles constatent que le tir de notre artillerie sur la ligne ennemie a été trop court. Le 6, la pluie continue ; les tranchées sont pleines d'eau, le terrain n'est qu'un vaste marécage. Le régiment reçoit l'ordre préparatoire d'attaque pour le lendemain, 7 décembre. Le point de direction de l'attaque est constitué par un groupe de trois saules et l'objectif par les tranchées au sud-ouest de Vlaklar; les tranchées au sud de Vlaklar doivent être enlevées par le 44ème régiment d'infanterie coloniale ; la brigade russe doit avancer sur les contreforts du piton 1050. L'ordre spécifie que l'attaque doit être générale et que le 3ème régiment, soutenu par le 2ème bataillon de zouaves, doit s'engager à fond. A 14 heures, le régiment reçoit l'ordre d'envoyer des patrouilles dans les mêmes conditions que la veille (dans l'intervalle de deux feux violents d'artillerie) ; elles ne peuvent déboucher ; elles sont arrêtées par de violentes rafales de mitrailleuses. Pendant la nuit, les patrouilles s'avancent jusqu'à la crête des trois saules, mais ne peuvent aller plus loin. Le tir de représailles ouvert par l'ennemi cause des pertes à la 2ème compagnie, qui est la plus en flèche. Durant cette période, la pluie persiste, tout le monde est trempé ; les journées passées couché à plat ventre dans les tranchées sont interminables. La nuit venue, on est obligé de faire lever les hommes et de les forcer à se donner du mouvement. Le 7, la pluie continue. Le colonel Bordeaux, commandant la 34ème brigade, précise la direction de l'attaque : "Attaque menée sur un front de 400 mètres, dont l'axe passe dans le groupe des trois saules, situé à 800 mètres sud-est de Vlaklar." Le régiment, qui devait attaquer à 12h40, reçoit contreordre en raison du mauvais temps. Le 8, le mauvais temps continue. Trente hommes malades (pieds gelés) sont évacués, les hommes sont transis, ils pataugent dans l'eau et la boue, mais personne ne se plaint. L'artillerie continue son tir de précision, qui amène la riposte de l'artillerie ennemie sur nos tranchées. Le 9, le temps s'étant remis au beau dans la soirée du 8, le vent a desséché un peu la croûte supérieure du terrain, mais pas assez pour le rendre résistant. Malgré cela, le régiment reçoit l'ordre d'attaquer, qui indique : "12 heures à 15 heures, feu d'artillerie ; 15h15 à 15h40, feu intense ; 15h40, attaque de l'infanterie." Le colonel commandant la 34ème brigade, en transmettant l'ordre, spécifie que l'attaque devra progresser sur un front de bataille, comme il avait été dit précédemment, mais par la droite et en liaison avec les russes ; le 3ème régiment devra s'engager très vigoureusement ; son attaque, à moins d'échec absolu, sera soutenue par le 2ème bataillon de zouaves. Le colonel renouvelle les ordres déjà donnés le 7 : "Les bataillons Coronnat et Beaudelaire enlèveront les tranchées ennemies placées en face d'eux. Le bataillon Marchand, avec la C. M. 2, viendra occuper les tranchées de première ligne, abandonnées par les bataillons Beaudelaire et Coronnat, de façon à parer à une contre-attaque ; ce bataillon se tiendra prêt, sur l'ordre du chef de corps, à renforcer les deux autres bataillons." A 15h40, après une préparation d'artillerie, les deux bataillons (Beaudelaire et Coronnat) se portent à l'assaut des positions ennemies. Les sections déployées en tirailleurs, les officiers en tête, marchent au pas, l'arme à la main, dans un alignement impeccable, comme sur la place d'exercice. Le commandant Beaudelaire, son habituelle canne à la main, marche avec le lieutenant Plumet, commandant la compagnie de mitrailleuses du bataillon, à hauteur du sous-lieutenant Sammarcelli, qui commande la première vague de la 2ème compagnie. Tout le bataillon Beaudelaire suit son chef, car tous ont confiance en lui. Il est bientôt blessé par une balle qui lui fracasse la mâchoire ; ne pouvant plus parler, car la langue a été perforée, il indique d'un geste énergique au lieutenant Plumet, qui se penchait pour le secourir, les tranchées ennemies à enlever. Les premières vagues arrivent facilement jusqu'à la crête sur laquelle se trouvent les trois saules et où existe une ligne de trous de tirailleurs inoccupée, mais aussitôt elles sont prises sous le feu des mitrailleuses installées dans les tranchées en contrefort de 1050. L'attaque, qui devait être générale, n'a été prononcée ni par les russes, ni par le 44ème d'infanterie coloniale ; tous les feux sont concentrés sur les bataillons du 3ème. Vers la gauche, le 1er bataillon ne peut donner l'assaut final, car les réseaux sont intacts et les pertes terribles ; à droite, la 11ème compagnie a poussé jusqu'aux tranchées allemandes, mais elle a dû revenir légèrement en arrière, sa droite n'étant pas en liaison et un grand trou existant de ce fait dans la ligne. Le bataillon Marchand, à l'exception de la 5ème compagnie, va renforcer les deux autres bataillons, mais la progression est arrêtée ; malgré le feu violent des mitrailleuses et le tir de l'artillerie, les hommes s'accrochent au terrain conquis et l'organisent. En attendant l'arrivée d'un bataillon du 2ème bataillon de zouaves, qui doit assurer la liaison avec les russes restés en arrière, le colonel y envoie la 5ème compagnie. Les pertes sont très fortes : commandants Beaudelaire et Marchand tués ; commandant Coronnat blessé. 1 lieutenant et 6 sous-lieutenants sont tués (Klein, Granger, Lemaître, Francischi, Gally, Amouroux, Charruey) ; 1 capitaine (Francischi), 4 lieutenants (Giansilly, Manges, Plumet, Baudoin) et 7 souslieutenants (Thomas, Touret, Fradin, Périmond, Malaquin, Siomme, Bertin) blessés. Dans la troupe, on a 59 tués, 382 blessés, 135 disparus. Le régiment, qui occupe une position un peu en arrière des saules, a reçu l'ordre de reculer un peu sa gauche, qui était prise d'enfilade par les mitrailleuses de Vlaklar. Le 10, le colonel reçoit l'ordre d'opérations n° 34, qui prescrit que le groupement Bordeaux renouvellera, aujourd'hui, le bel effort fourni par le 3ème colonial. Toute progression étant devenue impossible dans la plaine tant que le massif de 1050 en entier ne sera pas tombé, le colonel Bordeaux dirigera l'attaque de son groupe par son extrême droite, en liaison étroite avec la 2ème brigade russe. Les russes n'ayant pas progressé, le régiment ne sort pas des tranchées ; 22 hommes sont évacués pour pieds gelés. Le régiment est relevé sur ses positions, dans la nuit du 10 au 11 décembre, par le 35ème colonial. Il va bivouaquer au sud de Vranovci. La relève, exécutée par clair de lune, s'effectue quand même sans incident. 37 hommes sont évacués pour pieds gelés. Comme dans toutes les attaques exécutées par le régiment, les actes de bravoure furent nombreux. C'est, tout d'abord, le soldat Raynaud, de la 2ème compagnie, qui se relève, sous des rafales de mitrailleuses qui couchaient les vagues d'assaut, pour signaler à notre artillerie d'avoir à allonger son tir. Bertrand, Jean, et Rayé Maissa Diéga, de la même compagnie, qui s'offrent pour aller relever les blessés tombés entre les lignes et en ramènent quatre, malgré le feu violent de l'ennemi. Delouvé, Camille, de la 9ème compagnie, qui, malgré un feu croisé de mitrailleuses, va chercher et ramène dans la tranchée son commandant de compagnie blessé.
LA COTE 1050
Le régiment est au repos à Vranovci. Les compagnies se réorganisent, il n'y a plus qu'un officier par compagnie. Le 11, le colonel Bordeaux vient visiter les restes du régiment et féliciter les soldats et officiers de leur belle tenue au feu. Du 13 au 15, on a 92 hommes évacués ; la plupart ont les pieds gelés. On reçoit des officiers, entre autres le chef de bataillon de la Laurencie, qui prend le commandement du 1er bataillon ; le commandant Facon celui du 2ème bataillon, et le commandant Hentschel, du 3ème bataillon. Dans la nuit du 15 au 17, le régiment relève le 2ème bataillon de zouaves ; la relève s'effectue sans incident. Le secteur occupé par le régiment est à droite de son secteur d'attaque. Deux bataillons sont en ligne (2ème et 3ème) ; le premier est en réserve dans le lit de la Suba, à l'ouest du Suhodol-Raja. Les bataillons en ligne travaillent à organiser une première ligne ; ils établissent des tranchées et posent des fils de fer. Le 1er bataillon organise un réduit fermé, dit réduit de la Suba, légèrement au nord de la rivière, sur le plateau qui traverse la piste qui va directement de Suhodol-Raja à Meglenei.
Dans la nuit du 22 au 23, le régiment est relevé par le 35ème colonial. Le 1er bataillon (commandant de la Laurencie) s'installe dans le ravin qui descend de Laratck, à deux kilomètres environ du nord de Vranovci, dans le même ravin. Le régiment est en réserve de division et doit organiser les positions de deuxième ligne. Le 24, le colonel Bordeaux, commandant la 1ère brigade, détermine cinq centres de résistance qui doivent constituer l'ensemble de la ligne. Le régiment continue ses travaux jusqu'au 27. Dans la nuit du 27 au 28, le 1er bataillon, la 5ème et la 6ème compagnies relèvent, à 1050, un bataillon du 34ème colonial. La relève a lieu sans incident. Le mouvement de terrain est constitué par deux éperons : au Nord, le têton "Épaulé" ; au Sud, on a les mamelons 2 et 3 et P "Arbre Droit". Ces deux contreforts se réunissent à la cote 1050. Ils sont séparés par le ravin de la Mélisse et de son affluent le Mégalomane. Ces deux ravins sont très encaissés. Entre la Mélisse et le Mégalomane, se trouve le village de Méglenci, complètement en ruines. Le massif est dénudé et rocheux. Les 2ème et 3ème compagnies, sous les ordres du lieutenant Sammarcelli, occupent le secteur au nord-est de Maglenci, sur la rive droite de la Mélisse. Les 5ème et 6ème sont entre l'Arbre Droit et la cote 1050 ; la 1ère compagnie au poste de commandement du bataillon, sur les pentes sud de l'Arbre Droit. Les 2ème et 3ème sont complètement isolées et ne peuvent être secourues en cas d'attaque. Elles n'ont pas de tranchées et pas de défenses accessoires. A la tombée de la nuit, elles se déploient en tirailleurs derrière de petits rochers ; le jour, elles se rassemblent derrière un énorme rocher, le versant sud du têton Épaulé, sur lequel elles sont tellement à pic qu'elles ne pourraient même pas se servir de leurs grenades. Les ravins sont encore plein de cadavres serbes, français, russes, boches et bulgares. Le système montagneux de 1050 est tellement important (il défend la vallée de la Cerna et la route de Prilep) qu'il est défendu par des bataillons de chasseurs allemands. Le sous-lieutenant Roussel, de la 2ème compagnie, est tué par éclats de torpilles. Le 31 décembre, le régiment quitte les ravins de Vranovci pour se porter en réserve à deux kilomètres au sud de Vranovci. Le 1er bataillon et les 5ème et 6ème compagnies sont relevées, en première ligne, par les éléments d'une brigade italienne. La relève se fait sans incident; les sous-lieutenants de Souhy, Patiéri et Sammarcelli restent en ligne pour passer les consignes du secteur. Dans la nuit du 4 au 5, on quitte les bivouacs pour aller s'installer dans la région Tépavei (2ème et 3ème bataillons), Gniles (1er bataillon). Ces bivouacs installés, le régiment est mis à la disposition du génie pour les travaux de la deuxième ligne. Le 19 janvier, le régiment reçoit un renfort de 363 hommes et 4 officiers. Le 20, on reconstitue le régiment. Conformément à l'ordre de mouvement de la 17ème division d'infanterie coloniale, le régiment quitte ses emplacements pour se porter dans la région d'Iven, à 1.200 mètres d'altitude. Le régiment séjourne, par un froid intense (25° au-dessous de zéro), dans un ravin situé à 1500 mètres au sud d'Iven. Le 23, il est prévenu qu'il doit relever la division serbe Morava, dans la nuit du 24 au 25; on fait les reconnaissances préliminaires par une violente tourmente de neige. Le 24 janvier, le régiment se porte aux emplacements occupés par la division serbe de la Morava. Les 2ème et 3ème bataillons se portent en première ligne, où les attendent un rideau de tirailleurs serbes ; le 1er bataillon est en réserve ; aucune route, la neige entassée par les rafales marque les pistes. La marche est très dure, car des ravins profonds, coulant vers la Cerna, coupent à plusieurs reprises l'itinéraire des guides serbes. A l'arrivée dans le ravin de la Makowska, on aperçoit les grands feux autour desquels les compagnies serbes, celles qui ont combattu d'attaque en attaque depuis septembre et avancé de 80 kilomètres sans un renfort, attendent les Français dans les rochers. Le poste de commandement du colonel est dans le ravin de la Daboka, au sud du village de Rapech. La relève ne se termine qu'à 2 heures. Il neige toute la nuit.
2) Compte rendu daté du 28 août 1914 de l’adjudant Paillarès de la 12e compagnie du 3e RIC au colonel Lamolle au sujet des évènements des combats de Rossignol le 22 août 1914.
Après avoir passé le pont de la Semoy à Breuvannes, ma compagnie (capitaine Jousseaume) fut envoyée à la corne sud-est du bois qui se trouve à l’est de Rossignol. Je reçus l’ordre de mon capitaine d’organiser défensivement la lisière est du bois. L’ordre fut exécuté et je restais sur la position environ deux heures. La 4ème section (sous-lieutenant Josso) fut envoyée couper la crête à l’est de Rossignol, face au moulin de la Civanne. Les 1ère et 2ème sections (lieutenant Févez et sous-lieutenant Perret) furent envoyée au sud du dit bois pour organiser la défense sud-est. A partir de ce moment, je n’ai plus eu connaissance de ce que sont devenues les 1ère et 2ème sections.
Vers 16h30, la section du sous-lieutenant Josso fut attaquée par une troupe d’infanterie qu’il essaya de repousser par une charge à la baïonnette, au cours de laquelle le sous-lieutenant Josso tomba et sa section fut presque complètement décimée.
Vers 16h45, je reçus l’ordre de me porter avec ma section au nord-est du village de Rossignol. Arrivé sur la dite position, je fus accueilli par une fusillade qui me mit six hommes hors de combat (dont un sous-officier). Je reçus alors l’ordre de mon capitaine de me replier et d’aller le rejoindre en arrière, en envoyant mes hommes un à un, ce que je fis. Dans mon repli, je perdis presque tous mes hommes.Je me portais ensuite un peu au nord de la route qui va de Rossignol à Orsainfraing, en passant par la côte 365, après avoir rassemblé un groupe d’une soixantaine d’hommes des 1er, 2ème et 3ème régiments. Je me dirigeais vers Orsainfraing en suivant le talus de la route mais dans mon trajet, je perdis presque tous mes hommes. A un moment je me trouvais seul avec le capitaine Jousseaume et deux hommes. Arrivé au moulin de la Civanne, nous suivîmes la voie ferrée qui se dirige vers le sud-est jusqu’aux environs de la côte 340, où je perdis le capitaine Jousseaume, j’allais passer la Rulle au pont (côte 357) et je me dirigeai ensuite droit sur la côte 355, où je traversais la voie ferrée. Je changeais de direction pour éviter Villers-sur-Semoy, me dirigeant vers la côte 377, où se trouvait un fort groupe de coloniaux (environ 350).En arrivant au carrefour qui se trouve à 500 mètres au nord-est de la côte 377, je vois qu’un poste allemand désarmait les coloniaux au fur et à mesure qu’ils arrivaient. Deux lieutenants d’infanterie coloniale que je ne connus pas s’étaient rendus avec environ 200 coloniaux. Je me précipitais au devant d’un groupe qui arrivait sur le poste allemand et allait se rendre, je leur donnais l’ordre de faire demi-tour et de me suivre, et sans qu’ils fassent la moindre résistance, je ralliais environ 150 hommes.que je détournais ainsi de la route fatale. Je retournais en arrière et me dirigeais vers la côte 365 laissant ainsi le poste allemand au nord. A la corne du bois (côte 365) je rencontrais un détachement (150 hommes) commandé par deux capitaines du 1er colonial et un détachement du génie commandé par un sous-lieutenant de réserve. Un peloton de chasseurs d’Afrique vint nous rejoindre et nous nous dirigeâmes par la route vers Etable. Nous nous arrêtâmes au sud du bois de Rastad (à environ 150 mètres de la côte 340) où nous restâmes jusqu’à la nuit.
A la nuit nous nous sommes remis en route dans la direction du sud, laissant Etable à notre gauche et à notre droite Sainte-Marie cherchant à rejoindre la route de Virton. Vers 21 heures nous rencontrâmes près d’Etable, un petit poste allemand ; des coups de feu retentirent et tout le détachement se dispersa dans les champs. Une heure plus tard, je réussissais à rassembler un assez fort groupe (environ 150 hommes ou 200), mais les officiers avaient disparus, ainsi que les chasseurs d’Afrique. Je traversai de nouveau la Semoy aux environs de la côte 335 et je retrouvai le sous-lieutenant de réserve Doyen du génie ; à nous deux, nous conduisîmes le détachement nous dirigeant vers le sud-ouest. Nous traversâmes la voie ferrée au niveau de Rosaye-Sainte-Marie, nous engageant dans le bois de Sainte-Marie, au sud de Sainte-Marie. Nous marchions très lentement, de façon à faire suivre tout le monde et nous arrêtant souvent pour écouter ; malgré toutes ces précautions, la colonne fut coupée en plusieurs tronçons, ce qui fut la cause que plusieurs petites colonnes arrivèrent successivement.En arrivant à la patte d’oie qui se trouve au sud-est du mont Prelet (carte au 1/40000), nous nous sommes heurtés à un poste allemand qui ne nous a pas vu ; j’ai fait faire demi-tour au détachement, et le placer sous bois où nous attendu le jour (il me restait 63 hommes). Vers cinq heures le poste allemand qui était devant nous se replia ; nous en profitâmes pour nous remettre en marche, nous dirigeant vers l’ouest. Nous rencontrâmes le route de Bellefontaine à Virton presque à la sortie des bois, dits Hauts de Minières. Nous changeâmes de direction pour suivre vers le sud la lisière du bois, jusqu’au moment où nous arrivâmes à la ferme de la Vieille Hage ; là apprenant que les allemands s’étaient retirés vers le nord, nous nous sommes dirigés vers la Hage et de la Hage sur Meix devant Virton, où avec le sous-lieutenant Doyen, nous nous présentâmes au chef de bataillon commandant les troupes de Meix ; ce dernier nous mit en route vers Somme Thonne avec un autre détachement de coloniaux commandés par un sous-lieutenant du 2ème colonial. A partir de ce moment, je n’ai plus eu qu’à suivre. Nous sommes passés par Somme-Thonne, Thonne-la-Long, Avioth, Thonne-le-Thil où nous avons couché la nuit du 23 au 24. Repartis le 24 matin, en passant par Chauvency-Saint-Hubert, Lamouilly et Olizy où j’ai rejoint le régiment le 25 août 1914.
Suite...Centenaire 2ème partie